Le rôle de la sérotonine dans la dépression
Il est bien connu que la sérotonine joue un rôle important dans la dépression. Cependant, savons-nous comment? La dépression est une série hétérogène d’états. Tous sont caractérisés par une humeur triste et une anhédonie, c’est-à-dire une incapacité à ressentir du plaisir (2, 3).
Les états dépressifs ont certains gènes et une neurobiologie en commun, mais diffèrent par ailleurs au niveau des symptômes et de l’étiologie (1).
Ainsi, dans la cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5), le diagnostic de dépression majeure englobe l’hétérogénéité des symptômes et génère une variabilité du poids, du sommeil et de l’activité psychomotrice (4). Ainsi, le neurotransmetteur sérotonine joue un rôle dans la symptomatologie de la dépression.
Le rôle de la sérotonine dans la dépression
Apparemment, malgré des décennies de recherche, le rôle de la sérotonine dans les phénotypes dépressifs n’a pas encore été déterminé de manière concluante. Ainsi, l’idée que les monoamines (sérotonine, noradrénaline et dopamine) étaient impliquées dans la dépression provient de deux découvertes fortuites (5, 6).
La première, lors des investigations sur le psychotrope iproniazide comme traitement de la tuberculose et l’imipramine comme traitement de la schizophrénie. Ainsi, les médecins ont rapporté que ces psychotropes pouvaient réduire les symptômes dépressifs.
Un effort a ensuite été fait pour trouver une propriété pharmacologique commune qui pourrait expliquer son effet antidépresseur. Les chercheurs ont enfin découvert que l’iproniazide inhibe les enzymes qui décomposent les monoamines. De son côté, l’imipramine bloque le transporteur de la sérotonine (SERT) et le transporteur de la noradrénaline (NET).
La deuxième découverte se porte sur les observations cliniques liées à la réserpine. Ces dernières suggèrent que ce médicament connu pour éliminer les monoamines augmente les symptômes dépressifs. Ces découvertes semblaient résoudre l’énigme.
En empêchant la dégradation de la noradrénaline et de la sérotonine, ou en empêchant leur élimination des synapses, l’iproniazide et l’imipramine semblent augmenter les niveaux de monoamine dans le cerveau.
Par conséquent, l’effet d’amélioration de la monoamine des médicaments antidépresseurs (ADM) ainsi que les effets induisant la dépression de la réserpine suggèrent que la dépression pourrait être causée par une neurotransmission réduite des monoamines (7, 8, 9).
L’hypothèse sérotoninergique de la dépression
D’autre part, les chercheurs ont signalé que la sérotonine pourrait être la monoamine la plus importante (10). L’hypothèse sérotoninergique de la dépression essaie d’attribuer la cause de la maladie aux faibles niveaux de sérotonine dans la dépression.
Les chercheurs se sont donc concentrés sur la création de médicaments qui pourraient augmenter la sérotonine synaptique sans perturber les autres monoamines. Cela serait possible grâce à une liaison sélective au transporteur de la sérotonine (SERT). Cet effort de recherche fut couronné de succès.
Ainsi, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine ( ISRS ) font désormais partie des médicaments les plus prescrits (11). Cependant, l’hypothèse sérotoninergique de la dépression pose quelques problèmes.
Problèmes avec l’hypothèse sérotoninergique de la dépression (1)
Comme elle nécessite l’utilisation de techniques invasives, l’hypothèse d’une faible sérotonine n’a pas été directement testée sur l’être humain. Pourtant, la recherche met en garde contre les problèmes suivants dans cette hypothèse:
- Certains des médicaments qui bloquent la recapture de la sérotonine, comme l’amphétamine ou la cocaïne, ne sont pas efficaces pour traiter la dépression (12).
- Les chercheurs et les historiens ont conclu que la dépression induite par la réserpine est un mythe (13) et qu’elle peut en fait avoir des propriétés antidépressives (14).
- Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et d’autres antidépresseurs augmentent la sérotonine extracellulaire quelques minutes à quelques heures après la première dose, mais ils ne réduisent les symptômes qu’après plusieurs semaines de traitement continu. Ce schéma est appelé délai thérapeutique (1).
- Tenter de réduire la sérotonine par l’épuisement du tryptophane ne provoque pas de dépression chez les participants non déprimés (15).
- L’exposition néonatale aux ISRS provoque des symptômes dépressifs chez les rongeurs involontaires (16).
- La régulation à la baisse du SERT (le transporteur de la sérotonine) augmente la synaptique de la sérotonine. Ceci est associé à une augmentation des symptômes dépressifs (17).
- Certaines méta-analyses montrent que les antidépresseurs ne sont que légèrement plus efficaces que le placebo pour réduire les symptômes dépressifs (18, 19, 20).
La sérotonine est-elle faible ou élevée dans la dépression ?
Compte tenu de ces problèmes, certains auteurs se sont demandé s’il y avait réellement un déficit en sérotonine dans le cas de la dépression.
Pour leur part, Andrews et al. (2015) suggèrent qu’il pourrait y avoir une hypothèse de sérotonine élevée dans la dépression. Ceci remettrait en cause le rôle de la faible sérotonine dans la pathologie. Les auteurs soutiennent également que les effets directs des antidépresseurs qui augmentent la sérotonine altèrent l’homéostasie énergétique et aggravent les symptômes.
Ainsi, il semble clair que davantage de recherches sont nécessaires sur le sujet. Le rôle de la sérotonine dans la dépression semble évident, mais il n’est pas entièrement déterminé.
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Andrews, P. W., Bharwani, A., Lee, K. R., Fox, M., & Thomson Jr, J. A. (2015). Is serotonin an upper or a downer? The evolution of the serotonergic system and its role in depression and the antidepressant response. Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 51, 164-188.
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